2.

La bière est un lubrifiant hors pair. J’ai toujours eu la parole facile, quand il le faut, si bien qu’en quittant le troquet j’avais déjà une idée bien précise de ce qui turlupinait Mike. Et quand on est rentrés se pieuter derrière l’écran d’aggloméré, on était associés à part entière. Je ne me souviens pas qu’on se soit serré la main, mais l’accord tient toujours. Depuis, Mike m’est toujours apparu comme un type extra et je suppose que la réciproque est vraie. C’était il y a six ans. Il ne m’en a guère fallu plus d’un pour commencer à oublier ce que c’était que de se priver.

Une semaine plus tard, un mardi, j’ai pris le car pour Grosse Pointe avec une mallette bourrée à craquer et, deux jours après, je suis revenu à Détroit en taxi, la mallette vide et les poches pleines de fric. Tout s’était passé comme sur des roulettes.

« Mr. Jones… ou Smith… ou Brown… je représente l’Aristocrat Studio, portraits personnalisés pris sur le vif. Je suis certain que vous saurez apprécier cette photo de vous et de… Non, ce n’est qu’une épreuve. Le négatif est dans nos dossiers. Cependant, si vous êtes intéressé, je puis être de retour après-demain avec ces dossiers… J’ai le pressentiment que vous ne serez pas indifférent à notre offre, Mr. Jones. Je vous remercie encore Mr. Jones… »

Dégueulasse, hein ? Eh oui ! le chantage est toujours dégueulasse. Aurais-je été marié avec des gosses à charge, je me serais contenté du rosbif et j’aurais laissé tomber le roquefort. Un roquefort des plus odorants, en l’occurrence. Mike était encore plus réticent que moi et j’ai dû parlementer longtemps, recourir à des arguments de toute sorte, depuis le vieil adage comme quoi la fin justifie les moyens jusqu’au fait que nos victimes supporteraient sans peine une petite ponction. D’ailleurs, au moindre accroc, nous nous serions empressés de rendre les négatifs. Certains clients n’étaient pas commodes.

Nous avions donc récupéré des fonds. Pas une fortune, certes, mais assez pour commencer. Avant de passer à l’étape suivante, il nous a fallu mettre encore bien des choses au point. Il y a pas mal de gens qui gagnent leur vie en persuadant les foules que le savon Laglue est le meilleur. Notre problème était plus délicat. D’abord nous avions à créer un produit susceptible d’être vendu avec profit et, ensuite, il nous fallait convaincre plusieurs millions de personnes que ce produit venait à point et qu’il méritait leur confiance. Il est bien connu qu’à force de répéter la même chose sur tous les tons et le plus fort possible, beaucoup de gens – voire la majorité – finissent par prendre ce que tu dis pour parole d’Évangile. Nous avions donc besoin d’une publicité à l’échelle internationale. Pour les gros malins à qui on ne la fait pas, même avec la pub la plus tonitruante, il fallut recourir à une autre méthode. Et surtout, nous n’aurions pas trente-six fois la même chance ; nous devions frapper juste du premier coup. Sans la machine de Mike, le boulot était impossible ; sans elle, le boulot n’avait pas de raison d’être.

Et il coula des fleuves de sueur sous les ponts avant que nous n’ayons arrêté notre choix sur ce que nous pensions – et pensons toujours – être la seule politique. Nous avions décidé de prendre la voie royale qui permet d’entrer dans tous les esprits sans violence : le spectacle. Obligés au secret absolu, nous n’avons fait le premier pas qu’après nous être assuré des bases solides.

Nous nous sommes d’abord mis en quête d’un local, ou plutôt Mike s’en occupa, car moi, j’avais pris l’avion pour Rochester où je suis resté un mois. Il nous a donc trouvé une vaste surface en rez-de-chaussée qui, jadis, avait abrité les locaux d’une banque. Nous avons fait murer les fenêtres de l’arrière-salle et installé un bureau devant avec vitres à l’épreuve des balles – ça, j’y tenais –, air conditionné, bar portable, assez de câblage électrique pour réjouir le petit cœur de Mike et une blonde secrétaire qui croyait travailler pour le Laboratoire expérimental M. & E. À mon retour de Rochester, je n’ai pas laissé une minute de répit aux maçons et aux électriciens. Mike a pu tranquillement passer le plus clair de son temps dans la suite que nous avions retenue au Book, d’où il pouvait voir son ancien magasin. Aux dernières nouvelles, ils y vendaient de l’huile de serpent. Lorsque le Studio, comme nous l’appelions, fut prêt, Mike y emménagea et la petite blonde s’installa dans une routine partagée entre la lecture des romans à l’eau de rose et les réponses systématiquement négatives qu’elle faisait à tous les démarcheurs qui se présentaient. Quant à moi, je partis pour Hollywood.

Je n’ai pas eu besoin d’éplucher les fichiers du Central Casting2 plus d’une semaine pour y trouver mon bonheur mais il m’a fallu faire des pieds et des mains pendant un mois et lâcher pas mal de pots-de-vin avant d’arriver à louer une caméra professionnelle pour film Véricolor. C’était tout de même un gros poids de moins, d’autant qu’à mon retour à Détroit j’ai trouvé le gros appareil du studio qui venait d’arriver de Rochester avec tout un chargement de plaques couleur. Nous étions prêts.

Nous avons tenu à fêter l’événement, ce qui, je crois, ne manqua pas de faire impression sur notre blonde secrétaire. Elle n’avait jusqu’à présent mérité son salaire qu’en réceptionnant des colis. J’ai fermé les stores vénitiens et j’ai fait sauter le bouchon de l’une des bouteilles de champagne que j’avais apportées. Nous n’avions pas de verres, mais nous n’allions pas faire des histoires pour si peu. De toute façon, trop nerveux pour boire plus d’une bouteille, nous avons donné les autres à la blonde en ajoutant qu’elle pouvait disposer de son après-midi. Juste après son départ – elle était fort déçue, je pense, de voir s’interrompre une fiesta si bien commencée – j’ai verrouillé la porte et nous sommes passés dans le studio proprement dit pour nous mettre au travail.

Je t’ai déjà précisé que nous avions bouché les fenêtres et que le mur intérieur ainsi obtenu avait été peint en noir mat. Avec la hauteur de plafond habituelle des banques, l’ensemble était impressionnant, mais pas du tout sinistre. Au beau milieu, nous avions installé la caméra Véricolor. Elle était prête, son magasin chargé de pellicule vierge. De la machine de Mike, en revanche, on ne voyait pas grand-chose mais je savais qu’il l’avait placée sur le côté, de sorte qu’elle pût projeter ses images sur le mur du fond – pas vraiment sur le mur, car les images en question se formaient en trois dimensions dans l’air, un peu comme quand les faisceaux de deux projecteurs se croisent. Mike souleva le couvercle et les petites lampes de la console découpèrent sa silhouette.

« Bon ? » a-t-il dit.

Je me sentais vraiment très bien, jusqu’au fond du portefeuille.

« À toi de jouer, Mike », lui ai-je répondu. J’ai entendu cliqueter un curseur, et il est apparu. C’était un jeune homme, mort quelque vingt-cinq siècles auparavant, mais si réel qu’on avait l’impression de pouvoir le toucher. Il s’appelait Alexandre. Alexandre de Macédoine.

Laisse-moi te retracer en détail les étapes de ce premier film. Jamais, je crois, le cours de cette année-là ne pourra me sortir de la mémoire. Nous avons commencé par suivre Alexandre de sa naissance à sa mort, en passant bien entendu rapidement sur certaines périodes moins importantes, ce qui nous amenait à sauter des jours, des semaines, voire des années entières. Il nous arrivait alors de le perdre ou de nous apercevoir qu’il s’était déplacé dans l’espace, si bien qu’il nous fallait procéder par va-et-vient dans le temps, un peu comme des artilleurs encadrant l’objectif. De temps à autre, nous pouvions prendre des repères sur les biographies mais, dans l’ensemble, nous avons constaté qu’elles présentaient une image nettement déformée de la réalité. Je me suis d’ailleurs souvent demandé comment de telles légendes avaient pu naître d’une vérité souvent plus spectaculaire que la fiction. Hélas, nous étions forcés de coller étroitement aux événements tels que les décrivait l’Histoire avec un grand H, sous peine de voir les grands professeurs ricaner du haut de leur chaire. Nous ne pouvions prendre un tel risque. Pas la première fois.

Avec la connaissance approximative du lieu et du moment où s’était déroulé tel ou tel épisode de la vie de notre héros, nous nous sommes servis de nos notes pour retrouver les passages particulièrement photogéniques et nous avons travaillé là-dessus. Nous avons fini par avoir une idée assez précise de ce que nous allions filmer et nous nous sommes assis à une table pour mettre noir sur blanc un découpage technique, prenant soin de noter en marge les scènes qu’il faudrait tourner ultérieurement avec des doublures. Ensuite, Mike s’est servi de sa machine comme d’une lanterne, magique et, moi, j’ai fait tourner la caméra Véricolor à focale fixe comme pour enregistrer un film projeté sur écran. Chaque bobine à peine terminée, nous l’envoyions à Rochester pour le développement. Les labos d’Hollywood nous auraient certainement fait ça pour moins cher mais, à Rochester, ils sont tellement habitués à voir défiler des kilomètres de pellicule d’un amateurisme navrant qu’ils n’y jettent probablement jamais un coup d’œil. Dès que la bobine nous revenait, nous la repassions pour vérifier notre choix des scènes et l’effet des couleurs. Et ainsi de suite.

Filmer les traditionnelles disputes entre Alexandre et son père, Philippe, exigeait par exemple des plans plus ou moins rapprochés que nous comptions tourner plus tard avec des doublures, mais de tels raccords n’étaient pas nécessaires pour les séquences montrant sa mère, Olympia, en train de manipuler ses serpents favoris aux crochets arrachés, car nous prenions toujours la scène de très loin ou sous un angle tel que le mouvement des lèvres n’était pas visible. Avec la scène où Alexandre dompte un étalon que personne ne pouvait monter, le problème fut quelque peu différent, car elle sortait entièrement de l’imagination d’un biographe. Elle était cependant si connue que nous ne pouvions songer à la supprimer. Encore une fois, les gros plans furent insérés plus tard, mais nous avons trouvé un cascadeur providentiel en la personne d’un jeune cavalier scythe qui gagnait sa croûte en rôdant autour des écuries royales. Roxane, elle, était bien réelle, tout comme les autres épouses perses d’Alexandre. Par bonheur pour nous, elles étaient pour la plupart dotées de ces mensurations qu’apprécie le public. Quant aux personnages masculins, Philippe, Parménion et les autres, ils portaient tous d’épaisses barbes qui, ultérieurement, facilitèrent beaucoup la recherche des doublures et la postsynchronisation de l’indispensable dialogue. (Si tu les avais vus se raser à l’époque, tu aurais vite compris pourquoi le poil était si populaire).

En revanche, les plans intérieurs nous donnèrent du fil à retordre. Des mèches fumeuses trempant dans un bol de suif, si nombreuses soient-elles, donnent un éclairage nettement insuffisant pour impressionner du film rapide. Mike tourna la difficulté en ayant l’idée d’actionner l’obturateur de la caméra au rythme d’une image par seconde après avoir synchronisé sa machine en conséquence. Cette technique nous permit de garder le diaphragme fermé au maximum et d’obtenir des prises de vues parfaitement nettes, d’une exceptionnelle profondeur de champ. Nous pouvions consacrer à chaque scène, à chaque angle, le temps de fignolage nécessaire. Les meilleurs acteurs du monde, le matériel le plus coûteux ou les prises dirigées par le plus exigeant des réalisateurs ne pouvaient rivaliser avec nous : nous avions toute une existence à notre disposition.

Nous avons fini par avoir un métrage représentant quatre-vingts pour cent de ce que tu as pu voir à l’écran. Après avoir grossièrement mis bout à bout nos bobines, nous nous sommes projetés notre œuvre et cette espèce d’avant-première nous a laissés pantois. C’était encore plus passionnant, plus spectaculaire que nous n’aurions osé l’espérer. Les lacunes dans la continuité du récit, l’absence de bande-son, ne nous ont pas empêché de mesurer la qualité de notre travail. Nous avions fait tout ce que nous pouvions, et le plus dur restait à venir. Nous avons donc envoyé la petite blonde chercher du champagne en lui disant que nous avions de nouveau quelque chose à fêter. Elle en poussait des petits gloussements.

« Au fait, qu’est-ce que vous fabriquez là-dedans ? Pas un représentant ne passe cette porte sans me demander quelles sont vos activités.

— Contentez-vous de leur dire que vous n’en savez rien, lui ai-je dit en ouvrant la première bouteille.

— C’est exactement la réponse que je leur fais et ils doivent me prendre pour une parfaite idiote. »

On a bien rigolé sur le dos des représentants.

Mike restait pensif. « Si ce genre d’événement est appelé à se reproduire, nous ferions mieux d’acheter des flûtes à champagne. »

La blonde était aux anges. « Oh ! oui. Je pourrai les ranger dans le tiroir du bas de mon bureau. » Son petit nez se plissa d’une façon charmante. « Ah ! ces bulles… vous savez, je n’ai bu du champagne qu’une seule fois dans ma vie… lors d’un mariage… et encore, pas plus d’un verre.

— Ressers-la, m’a suggéré Mike. Et mon verre est vide aussi. Au fait, qu’avez-vous fait des bouteilles que nous vous avons dit d’emporter chez vous la dernière fois ? »

Elle rougit puis eut un petit rire. « Mon père voulait les ouvrir, mais je lui ai dit que vous les gardiez pour une occasion spéciale. »

J’avais déjà les pieds confortablement calés sur son bureau. « Mais c’est une occasion spéciale. Encore un verre, miss… comment c’est déjà votre petit nom ? Je ne fais pas de cérémonie après les heures de travail. »

Elle a pris un air vexé. « Comment ? Vous ne le connaissez pas alors que tous les mois vous et Mr. Laviada signez mon chèque ! C’est Ruth.

— Ruth, Ruth », ai-je répété entre les bulles de champagne. Ça sonnait bien.

Elle a hoché la tête. « Votre prénom à vous c’est Edward et celui de Mr. Laviada, Migouel, je me trompe ? » Elle lui a souri.

« Miguel », a-t-il répondu en lui retournant son sourire. « Vieille coutume hispanique. Mais on dit plutôt Mike.

— Auriez-vous l’obligeance de me passer une autre bouteille, ai-je fait, et de m’appeler Ed ? »

Lorsque nous en sommes arrivés à la quatrième, nous étions ronds comme des billes. On apprit que Ruth avait vingt-quatre ans, pas d’attaches et qu’elle ne détestait pas le champagne.

« Pourtant, a-t-elle hasardé d’une langue pâteuse, j’aimerais bien savoir ce que vous fabriquez là-dedans à toute heure du jour et de la nuit. Oui, oui, je sais que, parfois, vous y êtes aussi la nuit. J’ai déjà vu votre voiture garée devant. »

Mike s’est accordé un temps de réflexion, puis il a répondu d’une voix mal assurée : « Nous prenons des photos. » Et il a cligné de l’œil. « On pourra même en faire de vous si vous savez nous prendre par les sentiments.

— C’est exact, suis-je intervenu. Nous photographions des modèles.

— Pas possible !

— Si, si. Des modèles. Des gens, des choses. Des modèles réduits en fait. Mais on s’arrange pour qu’ils aient l’air tout à fait réel. »

Je crois qu’elle était un tantinet déçue.

« Bon, maintenant que je suis au courant, je me sens mieux. Vous ne pouvez pas savoir l’effet que ça me faisait de signer toutes ces factures en provenance de Rochester sans savoir de quoi il retournait. Sauf que ça devait être de la pellicule ou des trucs comme ça.

— C’est cela même, lui ai-je dit. De la pellicule et des trucs comme ça.

— Oh ! oui, ça m’ennuyait vraiment… Ouf ! Ça va, il en reste encore deux derrière le ventilateur. »

Deux seulement ! Elle avait une sacrée descente. Je lui ai demandé si elle aimerait prendre des vacances et elle m’a répondu qu’elle n’avait pas pensé demander un congé si vite. Je lui ai dit qu’elle ferait bien d’y penser.

« Après-demain, nous partons pour Los Angeles. Hollywood, pour être précis.

— Après-demain ? Mais alors… »

Je l’ai rassurée. « Vous continuerez à recevoir votre paye. Mais comme nous ne pouvons prévoir la durée de notre absence, il nous semble inutile que vous restiez à vous tourner les pouces derrière ce bureau.

— Passe-moi la bouteille », a dit Mike.

Je la lui ai tendue et j’ai poursuivi : « Ne vous inquiétez surtout pas pour votre chèque mensuel. Et même, si vous voulez nous pouvons vous payer d’avance. Ainsi… »

Je commençais à être sérieusement parti et je n’étais pas le seul. Mike, gai comme un taco3 fredonnait dans son coin et notre jolie blonde avait quelques problèmes du côté de mon œil gauche. Je la comprenais : moi, j’avais du mal à garder les yeux sur ce qui dépassait de son fauteuil. Une taille élancée, des yeux bleus, toute bouclée… Humm… Tout ça gaspillé dans le boulot. Elle m’a tendu la dernière bouteille.

Puis, avec une charmante innocence, elle a dissimulé un petit hoquet. « Je vais garder les bouchons… Oh ! et puis non ! Mon père risquerait de me demander si je trouve normal de faire la fête avec mes patrons. »

J’ai reconnu que mécontenter son père n’était pas une bonne idée. Sur ce, Mike a atterri dans la conversation en disant qu’on n’avait pas besoin de s’ennuyer avec de mauvaises idées alors que lui venait d’en avoir une bonne. Rien de tel qu’une bonne idée pour ranimer l’ambiance.

« On va à Los Angeles pour travailler ? »

Nous avons confirmé.

« On va à Los Angeles pour travailler, fort bien, et la petite blonde pour taper notre courrier ? »

Horreur ! Pas de petite blonde pour taper notre courrier et boire du champagne avec nous.

« De toute façon, faudra engager quelqu’un pour le courrier. Seulement, elle sera peut-être pas blonde. Pas de blondes à Hollywood. Enfin, pas dignes de confiance. Donc… »

J’ai terminé la phrase à sa place. « Donc, on emmène notre petite blonde à Los Angeles pour le courrier. »

Ça, c’était une idée. Une bouteille auparavant, elle m’aurait paru moins brillante, mais là, Ruth pétillait comme du champagne fraîchement débouché, tandis que Mike et moi arborions un sourire béat.

« Mais c’est impossible ! Je ne pourrai jamais partir après-demain !

— Qui parle d’après-demain, fit Mike, décidé à se surpasser. Nous avons changé d’avis. On part tout de suite. »

Elle était atterrée. « Tout de suite ? Comme ça ?

— Tout de suite. Comme ça, ai-je confirmé, catégorique.

— Mais…

— Pas de mais. Tout de suite.

— Je n’ai rien à me mettre…

— On s’habille n’importe où, et à Los Angeles mieux qu’ailleurs.

— Et mes cheveux ! Je suis horrible à voir… »

Mike a suggéré une coupe chez un grand coiffeur d’Hollywood.

J’ai frappé un grand coup sur la table, qui a paru tenir le choc. « Appelez-nous l’aéroport. Trois billets. »

Elle a décroché le téléphone. Un rien l’intimidait.

Toutes les heures, nous avions un départ pour Chicago, avec une correspondance pour Los Angeles. Mike aurait bien voulu savoir pourquoi elle restait pendue au téléphone alors que nous aurions déjà dû être en route. Folie que d’entraver la roue du progrès en laissant la poussière se déposer sur les engrenages. Il lui accorda une minute pour mettre son chapeau.

« Vous pourrez toujours appeler papa depuis l’aéroport. »

Ses dernières objections n’ont pas tenu longtemps devant notre description imagée des réjouissances hollywoodiennes. Nous sommes partis pour l’aéroport en laissant une pancarte sur la porte : « Partis déjeuner. Rentrons courant décembre. » Nous sommes arrivés juste à temps pour attraper le vol de quatre heures. Pas question de téléphoner à papa. J’ai dit au gardien du parking de s’occuper de la voiture jusqu’à nouvel ordre et nous avons grimpé quatre à quatre les marches de la passerelle pour nous engouffrer dans l’avion. Nous avons décollé tandis que Ruth protégeait d’une main son chapeau contre un vent imaginaire.

À Chicago, nous avons eu deux heures d’attente. Le buffet de l’aéroport ne servait pas d’alcool, mais un chauffeur de taxi obligeant nous a trouvé un bar d’où Ruth put enfin téléphoner à son père. Mike et moi sommes discrètement restés à bonne distance de la cabine. D’après ce qu’elle nous a dit plus tard, papa lui avait récité le Code pénal. Le barman n’avait pas de champagne, mais nous avons eu droit au traitement spécial réservé à ceux qui en demandaient. C’est le chauffeur de taxi qui nous a mis dans l’avion.

À Los Angeles, nous sommes descendus au Commodore, piteux et dessoûlés. Le lendemain matin, Ruth est sortie faire les magasins afin de renouveler sa garde-robe et la nôtre. Nous lui avons donné nos tailles et assez d’argent pour lui faire oublier sa gueule de bois. Puis nous avons passé quelques coups de fil et sommes restés vautrés dans les fauteuils jusqu’au moment où le gars de la réception nous a annoncé la visite d’un certain Mr. Lee Johnson.

Lee Johnson avait tout du représentant haut de gamme. Grand, plutôt laid, il avalait la moitié de ses mots. Nous nous sommes présentés comme des aspirants producteurs et ses yeux se sont mis à briller. Son gibier préféré.

« Ce n’est pas exactement ce que vous pensez, lui ai-je dit. Nous avons déjà tourné quatre-vingts pour cent du film définitif. »

Il a voulu savoir alors où commençait son rôle.

« Nous sommes en possession de plusieurs kilomètres de pellicule Véricolor mais ce n’est pas la peine de me demander où et quand nous les avons obtenus. Ce métrage est muet ; nous avons donc besoin d’y coupler une bande-son comportant musique, bruitage et dialogue. »

Il a hoché la tête. « Pas de difficulté majeure. Dans quel état est le positif ?

— Excellent. Il est actuellement dans le coffre de l’hôtel. Nous avons également des raccords à faire et il nous faudra pour cela un certain nombre d’acteurs, des hommes et des femmes. Pour ce travail de doublure, ils seront très bien payés, mais ils ne figureront pas au générique. »

Johnson a haussé les sourcils. « Ah bon ? Et pourquoi ça ? Dans le coin, vous savez, c’est la mention au générique qui fait croûter les gens.

— Pour plusieurs raisons. Mais sachez bien que ce film a été tourné – peu importe où, quand et comment – sur le principe que personne ne bénéficierait d’une mention au générique.

— Bon, si vous avez la chance de coincer vos acteurs entre deux tournages, ils accepteront peut-être ces conditions, mais si votre film en vaut la peine, mes gars voudront voir leur nom figurer au générique. Et j’estime que c’est leur droit. »

Je ne contestai pas le bien-fondé d’une telle exigence. L’équipe technique était essentielle et j’étais prêt à payer ce qu’il faudrait. Surtout pour que cette équipe tienne sa langue jusqu’à la sortie du film, et peut-être même après.

« Avant de faire un pas de plus, a repris Johnson qui s’est levé en remettant son chapeau, allons jeter un coup d’œil sur cette copie. Je ne sais pas si nous pouvons… »

Moi, je savais très bien ce qu’il avait dans la tête. Du bricolage d’amateur. Et peut-être bien du porno ?

Nous avons récupéré les bobines dans le coffre de l’hôtel et roulé jusqu’à son laboratoire, au bout de Sunset Boulevard. La capote de sa voiture était baissée. Mike a pris la parole pour souhaiter que Ruth ait acheté des chemises de sport qui ne grattent pas.

« Votre épouse ? » a demandé Johnson, mine de rien.

« Notre secrétaire, a répondu Mike. Nous sommes arrivés par avion hier soir et elle est allée nous chercher des vêtements adaptés au climat. »

Johnson était visiblement en train de réviser son jugement à notre sujet.

Un porteur est venu prendre la valise contenant les bobines de film et nous l’avons suivi le long d’un interminable bâtiment bas, dépassant les bureaux qui se trouvaient en façade pour gagner les laboratoires proprement dits. Johnson nous y a fait pénétrer par une porte latérale et il a demandé quelqu’un dont nous n’avons pas saisi le nom. L’inconnu était un projectionniste. Il a pris nos bandes et a disparu à l’arrière de la salle. Juste le temps de s’installer dans les fauteuils moelleux, et une sonnerie nous signalait que tout était prêt. Johnson nous a consultés d’un signe de tête, puis il a pressé un bouton sur l’accoudoir de son siège et les lumières se sont éteintes.

La projection a duré cent dix minutes. Mike et moi gardions l’œil sur Johnson, tel le chat qui guette une souris. Dès l’amorce de fin de la dernière bobine, Johnson a de nouveau appuyé sur le bouton de son fauteuil. La salle s’est rallumée et il s’est tourné vers nous.

« Où avez-vous déniché cette bande ? »

Mike lui a décoché son plus large sourire. « Allons-nous faire affaire ?

— Faire affaire ? s’est exclamé Johnson. Sûr qu’on va faire affaire. On va même faire les plus grosses affaires que vous ayez jamais vues. »

Sur ces entrefaites, le projectionniste est descendu de sa cabine. « Hé ! c’était pas mal. D’où ça sort ? » Mike s’est tourné vers moi et j’ai dit : « Bon, restons-en là. »

Johnson a lancé un regard à son gars qui a haussé les épaules.

« Après tout, c’est pas mes oignons. »

C’est alors que j’ai agité l’hameçon : « Ça n’a pas été tourné ici. Mais peu importe l’endroit. »

Johnson s’est levé, il a mordu et il a tout avalé, l’hameçon, la ligne, les plombs et le bouchon. « J’y suis ! En Europe… Voyons… Allemagne, non, France. Russie peut-être, Einstein, Eisenstein, quelque chose comme ça ? »

J’ai fait non de la tête. « Pas d’importance, je vous dis. Les premiers rôles sont morts ou ne sont plus en mesure de toucher des droits. Reste cependant le problème des héritiers… enfin, vous m’avez compris. » Il avait compris. « Tout à fait d’accord. Inutile de prendre des risques. Et le reste ?

— Allez savoir… Nous avons déjà eu la chance d’en récupérer autant. Ça suffira ?

— Oui, ça suffira. » Il a réfléchi quelques instants. « Qu’on fasse venir Bemstein. Kessler aussi, et Marrs. » Le projectionniste a quitté la salle. Quelques minutes plus tard, Kessler, un type corpulent, et Marrs, une boule de nerfs qui fumait cigarette sur cigarette, ont fait leur entrée derrière Bemstein, l’ingénieur du son. On nous a présentés et Johnson nous a demandé si ça ne nous dérangeait pas de revoir le film.

« Pas du tout. On l’aime peut-être encore plus que vous. »

Là, j’exagérais. À la minute même où le film s’est terminé, Kessler, Marrs et Bemstein nous ont bombardés de questions, qui ont reçu les mêmes réponses que celles de Johnson. Mais nous étions contents de leur accueil et nous le leur avons dit.

« J’aimerais bien connaître le type qui était derrière la caméra, a grogné Kessler. Bon sang, c’est certainement ce que j’ai vu de mieux depuis Ben-Hur. C’est peut-être meilleur encore. Le mec est vraiment très fort. »

J’ai répliqué sur le même ton : « Ça, c’est la seule chose que je puisse révéler. Les prises de vues sont dues aux deux gars qui vous parlent. Merci du compliment. »

Quatre paires d’yeux ébahis se sont rivés sur nous.

« C’est l’exacte vérité, a confirmé Mike.

— Hé ben ! » a fait Marrs. Le respect se lisait à présent dans leur regard. C’était bon.

Le silence a fini par devenir gênant et Johnson l’a rompu : « Quelle est la suite du programme ? »

On en est venu à l’essentiel. Mike, comme à son habitude, est resté vautré dans son fauteuil, les yeux mi-clos, enregistrant tout, me laissant le soin des palabres.

« Nous voulons une sonorisation complète.

— Avec plaisir.

— Au moins une douzaine – et peut-être plus – d’acteurs ayant une ressemblance marquée avec les principaux personnages que vous venez de voir. »

Johnson prit un air sûr de lui. « Élémentaire. Le Central Casting a une photo de tout le monde depuis le début des temps.

— Je sais. J’ai déjà fait ma petite enquête. Nous n’aurons sans doute pas de problèmes de ce côté-là. Mais il leur faudra accepter un forfait, car, pour des raisons dont j’ai déjà fait part à Mr. Johnson, ils ne figureront pas au générique.

— Tout à parier que ce sale boulot est pour moi, a gémi Marrs.

— Exact, a fait Johnson. Quoi d’autre ? » a-t-il ajouté en se tournant vers moi.

Pour l’heure, je ne voyais plus rien. « Si ce n’est que nous n’avons pas prévu de distributeur. Il va falloir y songer.

— Enfantin, a fait Johnson, tout guilleret. Un simple coup d’œil sur les rushes et l’United Artists va renvoyer Shakespeare au vestiaire.

— Et pour les raccords ? a coupé Marrs. Faut-il prendre un scénariste ?

— Nous avons déjà ce qui peut passer pour un script définitif, ou nous l’aurons d’ici une semaine à dix jours. Aimeriez-vous le revoir avec nous ? »

Il aimerait.

« De combien de temps disposons-nous ? a demandé Kessler. Ça va quand même être un sacré boulot. Quand avons-nous besoin de la copie définitive ? »

Ça n’était plus « vous » mais « nous ».

« On en a besoin pour avant-hier », a lancé Johnson en se levant.

« Des suggestions pour la musique ? Non ? Alors on va mettre dessus Werner Janssen et ses gars. Bemstein, à compter de cet instant, vous êtes responsable de cette copie. Kessler, rassemblez votre équipe et attelez-la au boulot. Marrs, vous allez éplucher le fichier de Central Casting avec Mr. Lefko et Mr. Laviada. Vous prendrez leurs coordonnées au Commodore et vous resterez en contact permanent avec eux. À présent, messieurs, si vous voulez bien me suivre dans mon bureau, nous allons discuter des aspects financiers de la question. »

Simple comme bonjour.

Oh ! je ne veux pas dire que ce fut du travail facile, car dans les mois qui suivirent, nous n’eûmes pas une minute pour souffler. Il y eut d’abord la course pour retrouver le seul type enregistré au Central Casting qui ressemblât effectivement comme deux gouttes d’eau à Alexandre. C’était un jeune Arménien qui, perdant tout espoir de voir son nom ailleurs que sur la énième liste d’attente, était reparti chez lui à Santee. Puis ce furent les rôles à distribuer, les répétitions à diriger, les colères à piquer contre les costumiers et les gars qui construisaient les décors. Même Ruth, qui entre-temps s’était réconciliée avec son père grâce à une correspondance patiente et suivie, mérita pour une fois son salaire. Elle reprit sous notre dictée l’ensemble du découpage technique jusqu’à ce que celui-ci fût parfaitement au point, tant pour Mike que pour moi-même ou le jeune Marrs, qui se révéla malin comme un singe lorsqu’il s’agissait de fignoler un dialogue.

Ce fut simple comme bonjour, simple et intensément gratifiant d’en boucher un coin à ces gars blasés qui passaient leur vie à voir défiler nanars et superproductions. Ils étaient réellement épatés par notre travail. Lorsque nous avons refusé d’assurer le tournage des raccords, Kessler fut terriblement déçu. Nous lui avons dit avec un clin d’œil que nous étions occupés ailleurs et que nous lui faisions entièrement confiance. Il s’est surpassé, et nous a surpassés. Je ne sais pas ce que nous aurions fait s’il nous avait demandé conseil sur tel ou tel détail technique. Quand j’y repense, je suis persuadé que les types avec qui nous avons travaillé en avaient tellement marre d’économiser des bouts de chandelles sur des séries B qu’ils étaient heureux de tomber sur des gens qui voyaient la différence entre des larmes de glycérine et des vraies, qui ne reculaient pas devant la dépense d’un ou deux dollars supplémentaires. Ils nous prenaient – je suppose et j’espère – pour deux types de la ville pleins aux as.

Nos peines eurent enfin leur récompense lorsque Johnson, Bernstein, Kessler, Marrs, Mike et moi, ainsi que tous ceux qui avaient apporté leur contribution à ce travail gigantesque, nous pûmes assister à la projection du film terminé. C’était époustouflant. Alexandre, lorsqu’il apparut sur l’écran, était vraiment Alexandre le Grand. (Le talent du jeune Arménien lui valut une prime en conséquence.) Le flamboiement des couleurs, l’intensité d’émotion, la richesse, la magnificence des images éclataient dans chaque scène et laissaient dans l’esprit du spectateur une marque indélébile. Même Mike et moi, qui avions vu l’original, étions continuellement tenus en haleine.

C’est, je crois, l’impitoyable réalisme et l’ampleur des scènes de batailles qui firent la grandeur du film. Un carnage est toujours spectaculaire même lorsqu’il n’est que trucage et que les cadavres se relèvent à la pause pour aller déjeuner. Mais lorsque Bill Mauldin pond un article à couper le souffle sur le fantassin comme figure éternelle, eh bien Mauldin sait de quoi il parle. Même chose pour tous ces anciens combattants de par le monde qui nous écrivirent en comparant l’Arbèles d’Alexandre à Anzio ou à l’Argonne. Le paysan, nullement solide, nullement fier, mais exténué, inquiet, et qui se traîne tout au long de mornes étendues poussiéreuses pour finir sous la forme d’un cadavre puant, nu, déchiré, fixant d’un œil vitreux le ciel au travers d’un nuage de mouches, n’est pas différent selon qu’il est armé d’une sarisse ou d’un fusil. C’est ce que nous avions cherché à mettre en évidence, et nous y étions parvenus.

Lorsque la lumière revint dans la salle de projection, nous savions que le film allait faire un malheur. Pas peu fiers, nous avons serré les mains que l’on nous tendait et, lorsque les techniciens se furent retirés, nous avons suivi Johnson dans son bureau. Il a fait passer les verres à la ronde et, tout de suite, est entré dans le vif du sujet.

« Comment va se passer la sortie du film ? »

Nous lui avons demandé ce qu’il en pensait.

« C’est à vous de voir, a-t-il dit en haussant les épaules. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais le bruit court déjà que vous tenez quelque chose de pas ordinaire.

— En effet, nous avons reçu plusieurs coups de téléphone à l’hôtel. » Je lui en ai dressé la liste.

« Écoutez-moi bien. Ces cocos-là, je les connais. Dites-leur gentiment bye-bye si vous tenez à garder votre chemise. Pendant que j’y suis, je vous rappelle que vous avez une petite dette envers nous. Vous êtes en mesure de payer, je suppose ?

— Nous pouvons vous payer.

— Ah ! c’est bien ce que je craignais. Dans le cas contraire, c’est moi qui aurais eu votre chemise. »

Il sourit, mais il n’y avait pas la moindre illusion à se faire, il pensait ce qu’il venait de dire. « Très bien, ceci étant réglé, parlons de la sortie. Je vois deux ou trois boîtes en ville qui seraient prêtes à assurer la distribution. Mes gars peuvent répandre la nouvelle en un rien de temps et je crois que ce n’est plus la peine de leur faire garder le silence. Je sais… mais n’ayez crainte. Ils ont assez de bon sens pour ne pas parler de ce que vous désirez garder secret. Seulement, à compter de maintenant, tout dépend de vous. Vous avez toutes les cartes : des fonds, un potentiel de recettes comme je n’en ai jamais vu, et surtout, vous n’êtes pas obligés de sauter sur la première offre. C’est important dans ce jeu.

— Et ça vous dirait de prendre ça en main ?

— Ça ne me déplairait pas de tenter le coup. La boîte à laquelle je pense a justement besoin d’un grand film et ils ne savent pas que je suis au courant. Ce petit détail peut leur coûter cher. Mais qu’est-ce que je gagne là-dedans ?

— Ça, nous pourrons en parler plus tard. Et je crois savoir ce que vous avez en tête. Nous passerons contrat avec vous aux conditions habituelles, sans nous préoccuper de vos rapports avec ceux que vous contacterez. Ce que nous ignorons ne peut pas nous gêner. »

J’avais effectivement saisi sa façon de voir. C’était vraiment la loi de la jungle.

« Parfait. Kessler, tenez-vous prêt à tirer les copies.

— Toujours prêt.

— Marrs, il va falloir mettre sur pied une campagne de publicité… » Il s’est tourné vers nous. « Comment voulez-vous que ça se passe ? »

Mike et moi, nous en avions déjà causé. « Pour nous, ai-je commencé avec lenteur, ce que vous jugerez bon de faire sera le mieux. La publicité personnelle, O. K. ; on ne la cherche pas, mais on ne la fuira pas. Seulement, attention ! Nous ne sommes que des pékins du coin qui ont réussi. Restez évasif quand on vous demande où a été tourné le film, mais n’ayez pas l’air d’en faire mystère. Vous allez avoir de sacrés problèmes pour fournir des détails biographiques sur des acteurs qui n’existent pas, mais je compte sur vous pour inventer quelque chose. »

Marrs a poussé un grognement et Johnson a dit en souriant : « Oh ! oui, pour ça, on peut compter sur lui !

— Enfin, dans la mesure où les techniciens seront crédités, nous vous souhaitons d’en retirer le maximum de bénéfice, car vous avez vraiment fait du beau boulot. »

Kessler y a vu un compliment personnel, à juste titre.

« Maintenant, je puis vous révéler qu’une partie de la bande d’origine venait directement de Détroit. »

Ça les a fait réagir, et j’ai poursuivi : « Mike et moi, nous avons mis au point un nouveau procédé d’effets spéciaux et de travail sur maquette. » Kessler a ouvert la bouche puis s’est ravisé. « Nous ne vous dirons pas précisément quelles furent les séquences tournées en laboratoire, ni leur proportion dans le métrage que nous vous avons présenté, mais vous conviendrez sans doute que les trucages passaient totalement inaperçus. »

Là, ils ne tarissaient pas d’éloges. « Ça, pour passer inaperçus… Je suis pourtant dans la partie depuis pas mal de temps et j’ai l’habitude des effets spéciaux… mais où diable…

— Non, je n’en dirai rien. Nous nous sommes abstenus de déposer un brevet et nous préférons continuer ainsi tant que ce sera possible. » Ce dernier argument les a réduits au silence. Ces gars savaient reconnaître un trucage. S’il n’y avait vu que du feu, c’est que le trucage était bon. Ils comprenaient très bien qu’on veuille garder le secret sur une technique aussi parfaite.

« Nous pouvons pratiquement vous garantir que, dans l’avenir, nous aurons encore du travail pour vous. » Ils étaient manifestement intéressés. « Nous ne pouvons pas vous fixer un calendrier précis ou prendre des engagements fermes, mais sachez néanmoins que nous avons encore un ou deux tours dans notre sac. Nous avons apprécié l’esprit dans lequel s’est effectuée notre collaboration et nous souhaitons qu’il en soit de même les fois prochaines. Maintenant, si vous voulez bien nous excuser, nous avons rendez-vous avec une jolie blonde. »